Penser les formations bureautiques autrement ?
Cet article est le plus récemment paru dans le dossier « Apprendre mieux ? » publié sur ce blog. Pour un accès aux articles précédents, voir les liens ci-dessous :
Imaginez : Vous rendez visite à un ami qui a acquis depuis peu une magnifique encyclopédie papier en 20 volumes (oui…ça existe encore :-)). Auriez-vous l’idée de lui demander tout à trac « Alors ça y est, tu connais tous les mots ? ».
Certainement pas, ou alors vous risqueriez de surprendre votre interlocuteur ! Car une encyclopédie n’est pas faite pour cela…
Pourquoi vous ai-je raconté cette petite histoire ? Pour le savoir, je vous encourage à lire ce qui suit.
Les formations bureautiques : vaste tarte à la crème…
Rares sont les salariés du secteur tertiaire qui n’ont pas eu l’occasion de suivre au moins une fois dans leur vie une formation bureautique. Cela porte le plus souvent sur l’utilisation de la sacro-sainte suite Office de Microsoft, à savoir la prise en main ou le perfectionnement pour ses composants les plus courants (Word, Excel, PowerPoint, Outlook… et quelquefois Access, ou encore leurs équivalents sur le marché grandissant de l’open-source…).
Il m’est souvent arrivé d’intervenir dans des formations de ce type. En général, les participants arrivent là avec plus ou moins d’enthousiasme (« …enfin, bon, ne mégotons pas… pendant qu’on est ici, au moins, on n’est pas au boulot »), en avouant parfois que c’est la n-ième fois qu’on les « envoie » (?!) suivre une formation sur ce sujet (Voilà un des nombreux aspects du « miracle » du dispositif des obligations légales en matière de formation pour les entreprises dont notre beau pays a l’exclusivité depuis les années 70… à ce rythme-là nous devrions en toute logique être aujourd’hui un des pays les plus compétitifs d’Europe ! …Comment ? Ce n’est pas vraiment le cas ? …Ah bon ! …Mais alors, les autres, tous les autres, ceux qui ne disposent pas de ce bel arsenal, comment font-ils ???).
Efficacité personnelle ? Je me marre…
A ce qu’il paraît, la finalité de telles formations vise à permettre à ceux qui en bénéficient d’accroître leur efficacité personnelle dans le cadre d’un travail « classique » de bureau. Ces actions sont sanctionnées (…enfin, si l’on peut dire :-)) par une attestation de stage attestant en gros… euh, eh bien, que la personne a assisté à la totalité du cours, voilà. Une fois sa session de formation terminée, le participant à une formation bureautique peut en effet espérer accroître son efficacité personnelle au bureau, sous certaines conditions (avoir le sentiment d’arriver plus facilement et plus simplement à un résultat, avoir l’opportunité de pouvoir « digérer » et appliquer ses acquis dans un contexte de travail, savoir gérer la pression plus ou moins douce de sa hiérarchie en attente d’un accroissement immédiat de ses performances…). La liste est longue, et il est aisé de voir que l’aboutissement de tous ces objectifs dépend d’un entrelacs de circonstances dans lesquelles tout ce qui s’est joué dans la salle de formation (ou sur la plateforme e-learning) n’est qu’un composant parmi d’autres (ce qui permet à ceux qui sont tout à la fois Grands Spécialistes de la relation client et Gros Nullos en pédagogie – si, si ça existe, c’est même très courant ! – de s’ébattre avec bonheur dans ce monde du B to B qui décidément n’est pas fait pour les bisounours, hein ? 🙂).
La liste des paramètres à prendre en compte, est donc très longue. Dans les faits elle est même pratiquement infinie.
Formations techniques vs formations bureautiques
Il faut bien voir que dans le cas d’une formation informatique dite « technique », ciblée le plus souvent sur un public d’informaticiens, l’action de formation est sanctionnée en général (à plus ou moins long terme) par un contrôle ou une certification de type QCM (qui vaut ce qu’elle vaut et mesure ce qu’elle veut mais qui – au moins – a le mérite d’exister).
En revanche, pour une formation bureautique, les critères « mesurables » d’une action de formation sont beaucoup plus flous et subjectifs. Ici, pas question de QCM, certification ou quoi que ce soit. Les participants peuvent donc venir (et repartir) en « touristes », si ça leur chante, et ici les fameux critères reposent plus sur leur propre impression que sur des faits tangibles. Dans ce cas de figure, les « bons » organismes (du moins ceux qui font le plus d’audimat, si l’on peut dire…) sont tout simplement ceux qui génèrent la meilleure satisfaction client, tout simplement (rappelons que je parle ici du B to B, hein ? mais soyez rassurés, si l’on peut dire, dans le monde des formations « sur fonds publics » à destination des « publics en difficulté » ce n’est pas piqué des vers non plus, j’ai un peu donné aussi :-)).
Prestations de qualité ?
Tous les manuels de marketing nous assènent la même terrible vérité : « Une prestation de qualité est une prestation perçue comme telle par le client ». Dans ce contexte, il est naturel que les prestations de formation bureautique s’ingénient à copier au maximum (certains diront « singer ») les prestations techniques, afin de tenter de récupérer une partie de leur prestige, de leur « aura ». C’est oublier un peu vite que l’objectif à atteindre est radicalement différent ! Examinons cette comparaison toute simple :
Objectif le plus souvent annoncé d’un système de formation informatique dite « technique » | Objectif le plus souvent annoncé d’un système de formation bureautique |
Rendre les participants opérationnels sur une liste très précise de concepts et procédures. | Permettre aux participants d’accroître leur efficacité personnelle dans le cadre de leur travail de bureau (via le logiciel étudié). |
C’est ici que vous pouvez retourner chercher l’histoire du début : Un participant à une formation bureautique n’a pas besoin de connaître toutes les fonctionnalités du produit étudié, pas plus que le possesseur d’une encyclopédie n’a besoin d’en connaître tous les mots ! En poussant plus loin le raisonnement, le participant lambda à une session bureautique ne vient pas chez l’organisme pour apprendre des fonctionnalités produit, mais plutôt pour acquérir un savoir-faire…
Et cela change… tout !
L’exemple des auto-écoles…
Certes, sous un certain angle, les deux approches peuvent sembler « revenir un peu au même », mais méfions-nous des apparences : ainsi, une personne prenant des leçons de conduite dans une auto-école pourra par exemple dire qu’à la suite de la leçon qu’elle vient de prendre, elle commence à être capable d’effectuer un démarrage en côte… alors que si ça se trouve, le moniteur, discutant avec ses collègues, emploiera pour parler de la même chose des termes plus techniques comme « maîtrise du point d’effet », ou encore « synchronisation des manœuvres de débrayage, d’accélération et de desserrement du frein à main ». Il n’empêche : il serait suicidaire pour une auto-école de faire figurer de pareilles formulations sur ses programmes de cours, car cela risquerait de faire fuir les clients potentiels ! Ils écrivent plutôt « Démarrage en côte », tout simplement, ce qui est bien plus parlant pour tout le monde !
Les plans de cours bureautiques sont (presque) tous écrits en chinois…
Curieusement, les plans de cours bureautiques qu’il m’a été donné de voir depuis plus de 20 ans (quelle qu’en soit la provenance) sont bien loin de suivre une logique type « auto-école »… Bien au contraire, ils sont quasi-systématiquement orientés « fonctionnalités produit ». Non seulement cela les rend terriblement ennuyeux, et terriblement identiques d’un organisme de formation à l’autre (allez donc demander au client potentiel de comparer quoi que ce soit, dans ces conditions -là !), mais en outre, pour qui n’a pas un profil d’informaticien, cela ne donne pas forcément envie de s’y inscrire !
À mes yeux il serait à la fois plus judicieux et plus payant de remplacer les fonctionnalités produit par des savoir-faire. Avant de concevoir un titre de rubrique de plan de cours, il suffit de se poser une question commençant par « Comment faire pour… ? » à la place de « Quelle(s) fonctionnalité(s) allons-nous étudier ». Cela marche à tous les coups !
Ainsi, pour l’exemple de l’auto-école, cela donne :
Comment faire pour… ? | Fonctionnalités étudiées |
Démarrer en côte | Synchronisation des manœuvres de débrayage, d’accélération et de desserrement du frein à main dans un environnement à forte déclivité… |
Si vous avez un profil de « technicien », vous serez peut-être séduits par la colonne de droite, mais si vous ressemblez à monsieur tout le monde, celle de gauche l’emportera haut la main !
Essayons d’étendre le cas à certains extraits des plans de cours de bureautique tels qu’on peut en voir couramment :
Comment faire pour… ? | Fonctionnalités et concepts étudiées |
…Éviter d’avoir une frappe qui part dans tous les sens de manière qui semble totalement illogique ? (Word débutant) | Frappe au kilomètre PUIS mise en forme du texte |
…Éviter d’avoir un pourcentage, une somme en euros, ou pire, une date qui vient s’inscrire (avec une horripilante « insistance ») dans une cellule (Excel) alors qu’on voulait tout simplement y frapper un nombre entier ? |
|
…Se concentrer sur les valeurs d’un tableau Excel plutôt que sur des questions de bataille navale (de type « A4 : Touché, B14 : Coulé ») ? | Références absolues …mais surtout utilisation des noms de (plages de) cellules |
…En finir une fois pour toutes avec cette dernière colonne de tableau qui se détache isolément sur une page blanche alors que le rapport doit partir pour hier ? | Mise en page |
…Éviter le cauchemar des pièces jointes qui font le ping-pong entre deux personnes, si bien que :
|
Dossiers partagés |
Tout le monde a vécu des situations semblables à la colonne de gauche (« Comment faire pour… ? »), incommensurablement plus « parlante » que la colonne de droite (« Fonctionnalités étudiées »). Mais curieusement, c’est bel et bien à partir de la colonne « Fonctionnalités étudiées », et uniquement de celle-là, que sont construits nombre de plans de cours !
Une idée en l’air…
Une idée comme ça en l’air : Et si, faisant preuve d’audace et d’imagination, on braquait le projecteur sur les « Comment faire pour » dans nos plans de cours, quitte à reléguer la partie « Fonctionnalités étudiées » au second plan ? J’en connais même quelques-uns qui ne les font figurer qu’en annexe ! (à vous de voir…).
Du coup, en pareil cas, chaque participant :
- Pourra être beaucoup plus facilement « accroché » par une approche de ce type…
- Sera à coup sûr beaucoup plus attentif lors de l’action de formation, puisque pour une fois, il ou elle se reconnaîtra pleinement dans notre manière de lui présenter les choses ;
- Se dira (…et dira autour de lui en quittant le cours) « Voilà des gens qui sont capables de fonctionner comme moi et surtout de m’apporter du concret ! »
Ça marche aussi pour les autres domaines d’intervention !
On peut même s’avancer à universaliser le concept, et poursuivre cette liste pour tous les points abordés lors d’une formation, quelle qu’elle soit, aussi technique ou rébarbative qu’elle puisse paraître, et je pèse mes mots. Bien sûr, cela demande du temps et de la concertation pour trouver à chaque fois la bonne formulation… or, il se trouve mine de rien que la fameuse collection (succès de librairie) « …For Dummies » (en version française « …Pour les Nuls ») qui fait un véritable tabac en librairie, procède exactement ainsi, d’où son immense succès dans de nombreux pays…
C’est cette même approche que je me propose de partager avec vous, si cela vous intéresse, bien entendu.
Je serai enchanté de répondre à vos questions.
Bien à vous,
Bernard
P.S. : Bien entendu, le fait d’avoir des plans de cours pertinents, vendeurs et efficaces n’empêche pas d’avoir le souci de disposer des ressources matérielles et surtout humaines qui vont avec. Pour moi cela va de soi mais je préférais quand-même le préciser… Comme tout ce qui va sans dire, ça va mieux en le disant 🙂
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Ce n’est pas tant le problème des formations bureautiques que celui de leur description, non?
Quoi qu’il en soit je retrouve tout à fait ce problème d’adéquation entre les attentes des apprenants, ce pour quoi ils sont là, et ce que les formateurs dispensent dans ce que j’ai encore récemment vécu (pas plus tard que la semaine dernière) : des cours magistraux sur 4 jours, des powerpoints* en veux-tu en voilà (ils ne savent donc pas qu’on peut en mourir? [http://fr.slideshare.net/thecroaker/death-by-powerpoint]) , et finalement un contentement de part et d’autre d’un devoir accompli (j’ai pris des notes et écouté / j’ai débité mon cours et répondu aux rares questions) avec la remise d’une doc volumineuse (et les arbres?!) et, luxe suprême, un DVD récapitulatif avec pleins de photos en couleur! ^_^
Lorsque la collection « pour les nuls » est sortie j’étais le premier à penser : ça ne marchera jamais, personne n’avouera, en l’achetant, être nul. J’avais tort, l’approche désacralisée et simplifiée (borderline simpliste mais et alors?) répondait en ça à une attente à laquelle les collections jusque là faillaient. A quand une formation, méthode, Bernard-vous-dit-comment, sur le même mode? ^_^
* : si seulement il pouvait utiliser Prezi, juste histoire de changer et d’être original un peu.
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l’approche me convient parfaitement 🙂
Merci… je me sens un peu moins seul 😉
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Comme toujours des expériences tirées du vécu (de grands moments dirais-je !), du concret et des idées simples et efficaces. Bon évidemment, les tourneurs en rond ne vont pas suivre 🙂 mais cette approche est plus qu’intéressante, elle est à mettre en application.
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Bonjour Bernard, reprenons les chapitres évoqués dans ton article :
« Les formations bureautiques… »
Tu as raison : 80% des formations en bureautique se font sur la suite Microsoft Office.
Tu écris :
« En général, les participants arrivent là avec plus ou moins d’enthousiasme, en avouant parfois que c’est la n-ième fois qu’on les « envoie » suivre une formation sur ce sujet ».
Sommes-nous face à un problème de casting ou de contenu?
« Efficacité personnelle ? Je me marre… »
Pas nous, effectivement, une action de formation nécessite, quel que soit son domaine, une rigueur logistique et pédagogique de l’organisme de formation et de l’intervenant. Quand l’efficience de l’apprenant est validée à son retour dans l’entreprise, l’objectif est atteint. Assurer un suivi post stage est sûrement la meilleure solution pour pérenniser une action de formation technique qu’elle soit bureautique ou autre.
« Formations techniques vs formations bureautiques »
Là il n’y a pas de secret, une formation sur un produit tel que Linux (donc une formation technique) peut avoir le même résultat qu’une formation bureautique, si le stagiaire ne pratique pas après la formation, il n’y aura pas d’évolution.
« Prestations de qualité ? »
La qualité d’une formation est mesurable : vaste sujet…
Dans tous les cas Bernard, c’est toujours un plaisir de te lire et de pouvoir débattre avec toi l’agitateur d’idées 🙂
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