Dans mon dernier billet je vous faisais part de mes sentiments mitigés après trois séances MOOC ITyPA.
J’y évoquais ce qu’il faut bien appeler l’ennui que je ressentais de plus en plus lors du visionnage des dernières séances, après l’enthousiasme des débuts. Plusieurs personnes ont eu la gentillesse de me faire part de leurs propres réactions, sur ce blog ou ailleurs, en me suggérant parfois de mettre un peu d’eau dans mon vin, au motif que, bah, quand on assiste à un cours on s’ennuie forcément un peu, que si on s’ennuie il faut s’occuper utilement en prenant des notes, et qu’après tout il faut bien « faire avec » parce que… parce que c’est un peu la loi du genre.
Aussi j’aimerais aujourd’hui vous raconter une histoire… vraie .
Histoire d’un vieux monsieur
Un vieux monsieur s’installe à une table de conférence, face à un parterre de chercheurs en intelligence artificielle. Il parle pendant une heure. Il est filmé par une caméra fixe. Pas vraiment générateur d’engouement comme dispositif. Et pourtant…
…Pourtant un silence religieux se fait immédiatement, dans un climat d’attention bienveillante et détendue. Et le vieux monsieur parle toujours, très simplement, avec des mots de tous les jours, bien que s’adressant à un public averti. Et moi, pauvre clampin derrière son petit PC, je ne peux m’empêcher de penser à cette phrase amusante de l’écrivain norvégien Gunnar Staalesen : « Les tableaux aux murs, tous dans des cadres dorés, étaient dus à des peintres si renommés que même moi j`arrivais à les reconnaître. »
Mais revenons à notre vieux monsieur. Sans jamais se départir d’un sourire lumineux (parce qu’authentique), il nous donne de précieux éclairages sur un sujet qui le passionne, et qui me passionne également, à tel point que j’ai pris l’habitude de visionner régulièrement cette conférence, que je connais presque par cœur maintenant, et bénis ceux qui ont eu le bon goût de l’enregistrer, puis de la mettre à disposition sur Vimeo.
Les premières fois j’étais tout simplement scotché à mon fauteuil par la poussée gravitationnelle. Space Mountain à côté, c’est de la bibine. C’est émouvant de se sentir ainsi tiré vers le haut. Émouvant parce qu’il est somme toute assez rare de ressentir avec une telle jubilation le plaisir d’apprendre et de comprendre.
Aucune envie de zapper sur d’autres onglets de mon navigateur… Aucune envie de prendre des notes non plus, enfin, la première fois du moins. Quelque-chose me dit que même ceux qui ont en général la bougeotte en pareil cas se comporteraient tout autrement ici… Allez, je prends le pari que même Christine Vaufrey, qui a eu la gentillesse de confier ici qu’elle était sujette à ce virus, ne bougerait pas un cil 😉
Le vieux monsieur continue de parler. Il présente simplement le plan de son intervention, chaque « chapitre » a droit à son introduction, son développement, sa conclusion en bonne et due forme, et même une petite phrase qui fait impeccablement le lien entre ce qui précède et ce qui va suivre. Il y a là un vrai souci de nous prendre par la main, en douceur, de ne jamais nous perdre, sans avoir l’air d’y toucher. Vous savez, un peu comme le si rassurant petit rond bleu « Vous êtes ici » qu’on voit parfois sur les plans de ville affichés dans la rue… Pourtant, pas une seule fois on ne voit le monsieur consulter ses notes !
Ah, les notes, parlons-en : les autres fois, en re-visionnant la conférence, je n’ai pas pu résister à la tentation d’en prendre, des notes, histoire de pouvoir m’en repasser quand même une petite couche pendant les moments où je dispose de moins de temps. À toutes fins utiles, j’ai mis ça dans un dossier public sur un bout de cloud, si ça vous intéresse servez-vous.
Voilà. C’est terminé. Le vieux monsieur a fini de parler. Toute la salle l’applaudit, longtemps, debout. Lui regarde tous ces gens avec émotion et gentillesse, un peu gêné, tout en dodelinant doucement de la tête pour les remercier de leur attention. À ce moment précis, ce n’est plus un vieux monsieur, c’est un tout jeune homme.
Cela se passe en décembre 2007, pour les 40 ans de l’INRIA. La conférence s’intitule « Les nouvelles technologies, révolution culturelle et cognitive ».
Le monsieur s’appelle Michel Serres.
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